Le rêve de Camille


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Categories : chroniques urbaines

La tête posée sur ses mains, elles même appuyées sur la mousse du guidon de sa trottinette, Camille regardait par la fenêtre du train qu’elle prenait tous les matins. Il y avait quelque chose de triste dans sa façon de ne pas bouger, de se laisser hypnotiser par la grisaille qu’elle traversait. Ou plutôt que la tristesse, c’est la mélancolie, ou bien peut-être la nostalgie qui teintait de gris ses yeux bleu-profond.

Mais alors qu’on la pensait perdue dans la contemplation, Camille sorti de sa torpeur d’un simple mouvement de tête. « Je suis une battante, je suis là pour en découdre, je deviendrais quelqu’un d’important dans cette boite », se dit-elle en remettant ses longues mèches blondes en place. C’est pour ça qu’elle était venue se perdre dans cette ville, c’est pour ça qu’elle montait tous les jours dans ce train vieillot avec sa trottinette. Non, elle n’avait pas le temps de rêvasser. « On est pas dans un monde Bisounours bordel ! C’est ici et maintenant que ça se passe ! C’est marche ou crève ! Et j’ai surtout pas envie de crever ici moi ! ».

Elle regarda à nouveau par la fenêtre en s’appuyant sur le guidon de sa machine, tellement tendance, tellement moderne, tellement désuète pourtant. « Non, je n’ai pas envie de crever ici… » souffla-t-elle. Ses longs cils maquillés se chargèrent d’eau salée jusqu’à ce qu’une larme en déborde et roule doucement sur sa joue. Elle y traça un long sillon de mascara, telle la cicatrice noircie d’une vieille blessure oubliée. « Non, pas ici… » murmura-t-elle à nouveau pour elle-même. Ses yeux se perdirent à nouveau dans les méandres des immeubles de bureaux qui défilaient, géants sans personnalité, mangeant et recrachant chaque jours ses hordes de travailleurs disciplinés. Camille retomba lentement dans sa rêverie.

Elle se vit courant dans les hautes herbes jaunies par la chaleur. Elle sentit ses cheveux emmêlés brillant de mille feux dans le soleil rasant et rassurant de la fin d’une journée d’été. Elle se souvint de l’odeur émanant des coquelicots piétinés qui la faisait grimacer, de la douce lumière du matin qu’elle voyait quelque fois quand elle était déjà réveillée, du jaune des boutons d’or sur son menton, des animaux fantastiques dans les nuages, du temps qui passe sans qu’elle n’en ait rien à faire, de son inocente liberté.

Une voix féminine et monocorde fit brutalement disparaitre les images souvenirs. « Asnières-Sur-Seine, Asnières-Sur-Seine ». Camille se reprit. « Sois forte », se dit-elle en prenant son engin d’une seule main, à la manière d’un chevalier prenant son épée avant le combat. La nostalgie reflua de ses yeux, son menton oublia le jaune des boutons d’or pour reprendre de la hauteur et pointer vers les bureaux des étages supérieurs qu’elle convoitait tant. Finit les coquelicots, les courses effrénées les bras levés et les cheveux virevoltants dans le vent. Place aux combattantes, pas de pitié pour les faibles.  « Je suis une battante ! C’est pas le monde des Bisounours ici ! Montre-leurs qui tu es Camille ! Fais-leurs la peau ! ». Camille s’échappa d’un pas rageur de ce vieux train bleu qui la transportait tous les matins vers ses nouveaux rêves de richesses et de pouvoir.

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